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enfoui, évoquer si vite le sentiment de l’universelle fraternité de souffrance, la pitié douce et profonde !…

Je lui donne tout ce que j’ai de monnaie dans ma bourse, plein sa petite main qu’il laisse ouverte, ne pouvant croire à tant de richesse. Et je m’en vais, emportant mon bouquet de campanules sauvages, le seul souvenir désintéressé qui me restera de ce pays.

Une heure solennelle, dans la Sainte Montagne, est celle de la tombée du jour, quand on ferme les temples. C’est une heure un peu lugubre aussi, surtout à cette saison d’automne où les crépuscules portent en eux-mêmes un recueillement triste. Avec des bruits lourds, qui se prolongent dans la sonorité de dessous bois, les grands panneaux de laque et de bronze roulent sur leurs glissières, murant les demeures magnifiques qui ont été ouvertes tout le jour et où personne n’est venu. Un frisson de froid humide passe sous les hautes futaies noires. À cause du feu, qui pourrait consumer ces merveilles, aucune lumière ne s’allume nulle part, dans cette ville d’Esprits où cependant il fait sombre plus tôt et plus longtemps qu’ailleurs ; aucune lampe ne veille sur ces richesses qui, depuis des siècles, dorment ainsi dans l’obscurité, au centre du pays japonais ; et les cascades grossissent leur musique, à mesure