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socques de bois, tout courbé sous le poids du bébé endormi : c’est pour m’offrir, en reconnaissance des sous que je lui ai donnés, un bouquet de campanules qu’il a cueillies pour moi. Une nouvelle révérence très mignonne, et il se sauve, évidemment sans rien attendre.

Eh bien ! c’est le seul témoignage de cœur et de souvenir qui m’ait été donné au Japon, depuis tantôt six mois que je m’y promène. Je rappelle l’enfant, très touché de sa petite idée ; je l’embrasserais presque, s’il n’était pas si laid et si malpropre ; mais vraiment il n’y a pas moyen. Comment s’y est-il pris pour être si mal venu, à ce bon air des montagnes, à cette fraîcheur vivifiante des torrents ? Il a du mal plein les cheveux, son petit frère aussi ; on n’a même pas pu les raser par places pour leur composer cette coiffure en quouettes séparées qui est réglementaire pour les bébés de leur race. Mais il me regarde avec de si bons yeux, si expressifs, si tristes. Pauvre petit être manqué, destiné à végéter misérablement quelques années dans ces bois, sans rien connaître ni jouir de rien, jusqu’à l’heure de s’en retourner féconder les racines des plantes vertes… Quel mystère, qu’un seul regard furtif de lui ait pu faire ce que souvent les beaux discours de mes semblables ne font pas, me pénétrer si profondément, trouver le chemin de ce qu’il y a en moi de meilleur et de plus