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sous. Et puis je continue ma route sans plus penser à lui, ne croyant plus le revoir.

Toujours des bouddhas en granit, de très vieux bouddhas, assis de distance en distance sous les buissons et les épines. En voici maintenant un vrai régiment, au moins une centaine, tous pareils, et très bien alignés, formant une courbe qui suit la direction du torrent ; sans doute ils regardent les eaux courir et bondir au fond de leur lit sombre. Je me rappelle à présent qu’on m’avait parlé de ceux-ci ; il y a même sur eux cette légende, qui circule à Yeddo : personne, paraît-il, n’a jamais pu savoir leur nombre ; les différents pèlerins qui ont essayé de les compter n’ont pas réussi à tomber d’accord, et il en est résulté des disputes, des rancunes.

Ils sont bien laids, ces gnomes, et doivent être malfaisants, c’est certain. Le temps et le lichen leur ont mangé des morceaux de figure, quelquefois une de leurs longues oreilles, ou bien le nez. Devant chacun d’eux traînent dans l’herbe des cendres noires, des débris de baguettes d’encens, restes des pèlerinages de l’été. Des petites bandes blanches ou rouges, portant des caractères’ imprimés, sont collées au hasard sur leurs ventres ; cartes de visite des fidèles qui sont venus, à la saison, leur rendre hommage ou leur demander grâce ; et les pluies ont détrempé ces papiers.