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un amoncellement de gros blocs d’un gris souris, qui sont tous ronds, tous polis et striés comme des dos de bêtes : on dirait des éléphants morts, effondrés en troupeaux au milieu de l’écume blanche. Des montagnes abruptes, très boisées, encaissent cette vallée de plus en plus ; elles montent dans le ciel verticalement, avec des cimes pointues, des dentelures excessives. Un chaud soleil brille encore, mais on a conscience de l’arrière-automne, à cause de ces graminées desséchées qui jettent sur tous les buissons des nuances grisâtres, à cause de ces tons si variés qu’ont les bois. Il y a des érables qui sont violets, et d’autres qui sont complètement rouges.

De loin en loin, quelques pauvres hameaux, qui ont l’air sauvage. Des paysans à longs cheveux et à chignon ; tout nus, de petite taille, mais qui semblent coulés en beau bronze.

Inutile de leur demander des renseignements sur les chemins à ceux-ci, je sais cela depuis longtemps : avec des sourires et des saluts, ils s’amuseraient à m’égarer.

Dans le sentier, un petit garçon d’une huitaine d’années, vêtu mais déguenillé, vient là-bas devant moi ; il porte, attaché sur son dos, un petit frère naissant, emmailloté et endormi. Au moment où nous nous croisons, il me fait une grande révérence de cérémonie, si inattendue, si comique et si mignonne en même temps que je lui donne des