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danser lorsqu’un fidèle lance sur la scène une pièce de monnaie pour les dieux : elle se lève sans un remerciement, sans un sourire, comme un automate dont on aurait touché le ressort ; les yeux perdus dans le vague, elle danse d’une invariable manière.

La première que je fais ainsi lever en lui jetant mon offrande est une très vieille femme, pâlie à l’ombre de ce bois sacré : bayadère de soixante ans, à la figure émaciée, mystique, qu’une couche de poudre blanchit comme un plâtre. Au tintement du métal contre les planches de son théâtre, elle se dresse dans sa blanche mousseline, elle se dresse lentement avec la grâce savante qu’elle a acquise dans les moindres mouvements de son corps maigre, et elle commence le pas rituel qui ne change jamais. Agitant son éventail large et sa marotte qui sonne, elle avance lentement, — puis recule, revient, recule encore, en trois ou quatre passes de plus en plus recueillies, de plus en plus graves. Et à présent, de sa petite main qui semble tout à coup épeurée, elle déploie l’éventail sur son visage, comme si, en ce monde, rien n’était assez pur pour ses yeux. Oh ! la très chaste créature, oh ! la très pudique, l’éthérée !… Mais maintenant, voici qu’elle défaille, elle va mourir… À reculons, à petits pas chancelants, elle s’éloigne encore une fois, en même temps que son corps s’incline toujours plus, toujours plus, en avant vers la terre