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route ; il est nuit close depuis longtemps. Tout à coup, mes coureurs s’arrêtent, se concertent à voix basse, et me déclarent qu’ils n’iront pas plus loin. Ils vont m’emmener coucher avec eux dans un village qu’ils connaissent par là, dans une auberge, et demain matin au petit jour, nous repartirons.

— Ah ! non, par exemple ! Jamais !

D’abord je fais mine d’en rire. Puis, devant leur entêtement, je me révolte, je m’indigne, et menace de ne pas payer, d’aller chercher les magistrats, de faire plusieurs choses terribles. Un moment ennuyeux à passer, pendant lequel je sens parfaitement l’impuissance de mes moyens pour sévir ; car, en somme, je suis à leur merci, sans arme, dans un lieu perdu, entouré de choses inconnues et d’obscurité.

Ils obéissent enfin, allument une seconde lanterne éclairant mieux et se remettent à trotter, d’une allure de mauvaise humeur, en rechignant. Encore quatre lieues ; nous n’arriverons guère qu’à dix ou onze heures du soir.

Cahin-caha, nous avançons bien péniblement. Nos lanternes nous font vaguement voir, de droite et de gauche, des talus en murailles, des racines qui se tordent et s’enchevêtrent comme un peuple de serpents échelonnés le long de la route ; de temps en temps, elles jettent aussi des lueurs un peu plus haut, sur les bases de ces grandes colonnes