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tout effrangées, tout en lambeaux ; l’étoffe cède sous les doigts, se pulvérise, — et le vent l’emporte. Mais il s’en dégage encore un parfum de musc et de vétiver, presque une senteur de toilette féminine, et, en respirant cela, je perds un instant la notion effroyable des dix-sept siècles qui me séparent de cette impératrice. C’est d’ailleurs, en soi, une impression saisissante, que de regarder de si près au grand jour, de toucher et de sentir une vraie toilette de cette créature légendaire, qui vivait comme une déesse, inaccessible et invisible, voilée même au milieu des batailles, — et à une époque si lointaine, si inconnue, alors que nos ancêtres gaulois secouaient à peine leur sauvagerie des forêts.

Pauvres belles robes ! À présent qu’on les montre à tout venant pour quelques pièces blanches, il est probable qu’après avoir traversé tant de siècles, elles ne verront pas la fin de celui-ci.

Peut-être, depuis un nombre incalculable d’années, n’étaient-elles pas venues, comme ce soir, au grand air et au vent du dehors ; n’avaient-elles pas revu, du haut de l’esplanade de ce temple, le soleil couchant et les perspectives fuyantes de l’avenue de cèdres ?

On les replie avec assez de soin, on les renveloppe dans leur blanc linceul de soie… Vraiment, il manque des mots dans nos langues humaines