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comme en hiver, se découpent en perspectives fuyantes le long d’un fleuve d’eau rose. Au premier plan, sur une berge de vase, s’étalent d’énormes méduses peintes en couleurs livides. Et sur les lointains rosés de ce fleuve, s’en vont, s’en vont je ne sais où, vers une grosse lune pâle qui se lève au ras du sol, deux jonques remplies de guerriers à masques de monstres.

Dans tout cela, rien de vulgaire, rien de grossier ; du reste, au Japon, jamais : les moindres choses ont, dans leur étrangeté, toujours une pointe de distinction. Mais vraiment ces petites bonnes femmes assises près de nous sont trop mièvres pour le site d’alentour, et leur rire est plus agaçant dans la mélancolie grandiose de ce bois plein de ruines.

Je leur tourne le dos pour regarder dehors par la véranda ouverte. Là, mes yeux se reposent tranquillement sur ces séries de collines boisées qui se chauffent au clair soleil d’automne. — Cette vallée, décidément, n’est pas vraisemblable ; elle est dans des dimensions fausses, et puis elle est trop régulière ; on la croirait faite exprès pour donner plus de majesté et de mystère à ce temple qui est au bout, noir et rouge, parmi les cèdres. Quel calme, quelle jolie lumière douce, aujourd’hui, sur toute cette verdure qui recouvre la ville morte. De temps en temps, des vols de corbeaux s’abattent sur le sol, sur la mousse