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arbres et la mousse, et aligné pourtant d’une façon large et majestueuse, comme était autrefois cette grande artère de la capitale morte. Nous déjeunerons là avant de monter au temple. Nos coureurs nous mènent à une vaste auberge noirâtre qui est, disent-ils, la plus fameuse. À ses dimensions, à ses lourdes solives sculptées, on dirait une ancienne habitation de seigneurs.

C’est au premier étage, par terre, sur les inévitables coussins de velours noir, qu’on nous sert un traditionnel repas de poupée, dans de jolies petites tasses bleues, sur des amours de petits plateaux en laque. (D’un bout à l’autre du Japon ces choses-là se ressemblent.) Et naturellement, la maîtresse du logis et ses servantes nombreuses, coiffées toutes en grandes coques de cheveux irréprochables, viennent, après beaucoup de révérences, s’asseoir à nos côtés afin de nous égayer par de gentils rires. La pièce où nous déjeunons est spacieuse et nue ; dans un coin, se dresse un autel à ancêtres très ancien, avec sa garniture de petits vases étranges et ses ors noircis par la fumée des baguettes d’encens. Derrière nous un paravent déployé dans toute sa longueur, comme la toile de fond d’un décor au théâtre, représente un inquiétant paysage : le ciel est tout en or vert, uniformément, avec une seule bande de nuages noirs. Sur ce fond glacé, des rideaux d’arbres, dénudés