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geant les uns les autres avec ces curiosités froides et profondes de gens appartenant à des mondes absolument différents, incapables de jamais se mêler ni se comprendre.

Au-dessus de cette rangée de têtes, coiffées en bonnets de mandarin et en queues, apparaît le jardin, les restes de la fête vénitienne à moitié éteinte ; et enfin, au loin, une grande étendue de nuit noire : la banlieue d’Yeddo où sont clairsemées quelques lanternes rouges.

En l’air flottent toujours les banderoles aux armes du Mikado, les crépons violets semés de chrysanthèmes héraldiques blancs. Derrière nous sont les salons, ornés de chrysanthèmes naturels mais invraisemblables, et dans lesquels beaucoup d’uniformes, de robes claires, se tiennent alignés, immobilisés en rang, entre deux figures de quadrille.

La petite provinciale de Carpentras ou de Landerneau appuyée à mon bras me dit des choses fort civiles en dégosarimas, sur la fraîcheur du soir, sur le temps qu’il pourra faire demain. Et tout à coup, pour comble de discordance, l’orchestre allemand qui est à l’intérieur, émoustillé par le pale-ale américain, attaque à tour de bras le refrain persifleur de la Mascotte : « Ah ! n’courez donc pas comm’ça, on les rattrape, on les rattrapera ! » Tandis que, en bas, au bout du jardin, derrière un jet d’eau, éclate une pièce d’artifice,