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poissons morts gisent çà et là, durcis comme les bois, momifiés dans le naphte et les sels : poissons du Jourdain que le courant a entraînés ici et que les eaux maudites ont étouffés aussitôt.

Et devant nous, cette mer fuit, entre ses rives de montagnes désertes, jusqu’à l’horizon trouble, avec des airs de ne pas finir. Ses eaux blanchâtres, huileuses, portent des taches de bitume, étalées en larges cernes irisés. D’ailleurs, elles brûlent, si on les boit, comme une liqueur corrosive ; si on y entre jusqu’aux genoux, on a peine à y marcher, tant elles sont pesantes ; on ne peut y plonger ni même y nager dans la position ordinaire, mais on flotte à la surface comme une bouée de liège.

Jadis, l’empereur Titus y fit jeter, pour voir, des esclaves liés ensemble par des chaînes de fer, et ils ne se noyèrent point.



Du côté de l’est, dans le petit désert de ces sables où nous venons de marcher pendant deux heures, une ligne d’un beau vert d’émeraude serpente, un peu lointaine, très surprenante au milieu de ces désolations jaunâtres ou grises, et finit par aboutir à la plage funèbre : c’est le Jourdain, qui arrive entre