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Mais on le suit peu ; chacun, tenant en main sa bible hébraïque, exhale à sa guise ses propres plaintes.

Les robes sont magnifiques : des velours noirs, des velours bleus, des velours violets ou cramoisis, doublés de pelleteries précieuses. Les calottes sont toutes en velours noir, — bordées de fourrures à longs poils qui mettent dans l’ombre les nez en lame de couteau et les mauvais regards. Les visages, qui se détournent à demi pour nous examiner, sont presque tous d’une laideur spéciale, d’une laideur à donner le frisson : si minces, si effilés, si chafouins, avec de si petits yeux sournois et larmoyants, sous des retombées de paupières mortes !… Des teints blancs et roses de cire malsaine, et, sur toutes les oreilles, des tire-bouchons de cheveux, qui pendent comme les « anglaises » de 1830, complétant d’inquiétantes ressemblances de vieilles dames barbues.

Il y a des vieillards surtout, des vieillards à l’expression basse, rusée, ignoble. Mais il y a aussi quelques tout jeunes, quelques tout petits Juifs, frais comme des bonbons de sucre peint, qui portent déjà deux papillotes comme les grands, et qui se dandinent et pleurent de même, une bible à la main. Ce soir, du reste, ils sont presque tous des « Safardim », c’est-à-dire des Juifs revenus de