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interrogé au Prétoire. Toute une reconstitution se fait dans mon esprit, invoulue, spontanée, des scènes de la Passion, avec leurs réalités intimes, avec leurs détails très humains et très petits ; sans grands déploiements de foules, elles m’apparaissent là, si étrangement présentes, dépouillées de l’auréole que les siècles ont mise alentour, amoindries — comme toutes les choses vues à l’heure même où elles s’accomplissent — et réduites, sans doute, à leurs proportions vraies… Il passe devant moi, le petit cortège des suppliciés, traînant leurs croix sur ces vieux pavés rouges… C’est au lever d’une journée quelconque des nuageux printemps de Judée ; ils passent ici même, entre ces murs si longtemps ensevelis, contre lesquels ma main s’appuie ; ils passent, accompagnés surtout d’une horde de vagabonds matineux et craintivement suivis de loin par quelques groupes de disciples et de femmes que l’anxiété avait tenus debout toute la froide nuit précédente, qui avaient veillé dans les larmes, autour du feu… L’événement qui a renouvelé le monde, qui, après dix-neuf cents ans, attire encore à Jérusalem des multitudes exaltées et les fait se traîner à genoux pour embrasser des pierres, m’apparaît en cet instant comme un petit forfait obscur, accompli en hâte et de grand matin, au milieu d’une ville dont les