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Ce qui frappe singulièrement ici, dans ces fouilles, c’est la conservation de ce vieux pavage, le poli de ces pierres rougeâtres qui, pendant des siècles sous la terre, ont gardé l’usure des pas… Et même voici, sur l’une des dalles, grossièrement gravé au couteau, un jeu de margelle identique à ceux de nos jours ! un jeu qu’avaient tracé les soldats romains pour occuper leurs heures de veille… Oh ! comme il est impressionnant, ce détail, pourtant si puéril, et quelle vie soudaine sa présence vient jeter pour moi dans ce fantôme de lieu !…

Est-ce que nous sommes bien dans le corps de garde du Prétoire ?… Ce vestige de rue, qui part d’ici, en pleine obscurité sépulcrale pour se perdre dans la terre, est-ce bien le commencement de la voie qui mena le Christ au Golgotha ? Rien n’autorise encore à l’affirmer, malgré les probabilités grandes. Mais la Mère qui m’accompagne dans ces caveaux, promenant sur les murs millénaires la lueur de sa lanterne, a réussi à faire passer momentanément en moi sa conviction ardente ; me voici, devant ces débris, ému autant qu’elle-même et, pour un temps, je ne doute plus…

Ce jeu de margelle, par terre, attire et retient mes yeux… Maintenant, je les vois presque, les soldats de Pilate, accroupis à jouer là, pendant que Jésus est