Page:Loti - Jérusalem, 1895.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois perdu dans le lointain des voûtes, voici un autre bruit qui s’approche, qui monte des profondeurs noires, puissant et lourd comme celui d’une foule en marche, d’une foule qui s’avancerait en murmurant des prières à voix basse dans des sonorités de caveau… C’est une horde de pèlerins du Caucase, que j’ai vus entrer ce matin dans Jérusalem ; ils reviennent des chapelles souterraines et ils vont sortir d’ici, leur journée finie. En arrivant au kiosque du Sépulcre, ils en font le tour, embrassant chaque pierre, soulevant dans leurs mains des petits enfants pour qu’ils puissent embrasser aussi, et leurs yeux, à travers des larmes, sont tous levés, en prière extasiée, vers le ciel…

Est-il possible vraiment que tant de supplications — même enfantines, même idolâtres, entachées, si l’on veut, de grossièreté naïve — ne soient entendues de personne ?… Un Dieu — ou seulement une suprême Raison de ce qui est — ayant laissé naître, pour tout de suite les replonger au néant, des créatures ainsi angoissées de souffrance, ainsi assoiffées d’éternité et de revoir ! Non, jamais la cruauté stupide de cela ne m’était encore apparue aussi inadmissible que ce soir, et voici que ce raisonnement tout simple, vieux comme la philosophie et que j’avais jugé vide comme elle, prend