Page:Lorrain, Jean - Sonyeuse, 1891.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais ce que je revoyais surtout dans un angle de ce bouge, c’était un habit noir, très élégant, en cravate blanche, la boutonnière encore fleurie d’un brin de bruyère du Cap, attablé devant un flacon de whisky, qu’il mélangeait avec de l’éther.

De l’éther pur, dont il buvait à large dose, une dose qui vous aurait brûlé et l’estomac et les entrailles, à vous comme à moi… Cet éthéromane, noctambule épuisé de noces et de vadrouilles, ce névrosé qui ne se couchait plus qu’à huit heures au grand jour et ne se levait plus qu’à sept heures du soir, à la lampe, c’était lui, Jacques, mon ami d’enfance, le défunt d’aujourd’hui ! Il y a quatre ans, un des plus lancés de nos jeunes fils à papa, de soupeur devenu loupeur… Que voulez-vous, il cherchait à oublier ou oubliait…

Et je revoyais morne, muet, taciturne dans ce coin nocturne des Halles, la face vieillie et le teint verdâtre, cet homme de vingt-neuf ans qui en paraissait cinquante, pris par l’éther comme tant d’autres le sont par la morphine,