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il est nouveau et varié ; et ses habitants aiment à tel point les choses nouvelles, que souvent on y loue des fenêtres rien que pour voir brûler une maison.

Don Louis.

As-tu longtemps habité Madrid ?

Citron.

Pas longtemps. Mais je ne serais pas plus aise si j’avais parcouru le monde entier. Il y a là tant de seigneurs illustres, tant de grands qui sont l’honneur du siècle, tant d’hommes supérieurs, soit dans les armes, soit dans les lettres ! il y a là tant de dames, et tant de coches dans lesquels les premières se promènent éternellement… Coche par-ci, coche par-là, et que maudissent par-ci par-là tous les passants… l’un parce qu’on lui a jaspé sa collerette, l’autre parce qu’on lui a bouché un œil ! — Il y a là tant d’avocats dans les cours ! tant de plaideurs dans les salles ! tant de magistrats et de greffiers, les uns avec leurs vares, les autres avec leurs plumes !… Le souvenir seul m’en ravit.

Don Juan.

Oui ! mais la vie y est chère.

Citron.

Eh ! parbleu ! c’est qu’il n’y a point là d’hôtellerie où l’on sache coudre comme en Italie. Mais savez-vous rien de comparable à ces gargotes où l’on vend des andouilles, du hachis, de l’étuvée, qui ont conservé presque toute leur substance… Il n’y manque rien. Je me trompe : il y manque quelque chose qui serait selon moi fort nécessaire… Un jour, derrière la porte, voyant une pierre grise — légèrement creusée, je m’imaginai qu’elle était là pour recevoir le vin et l’eau… Or une Galicienne[1] m’entendit. « Holà ! me cria-t-elle, ne voyez-vous pas que cette pierre c’est pour moudre le persil et le poivre ? » Sur quoi, me tournant vers elle dans le costume d’Adam avant qu’il eût mis la feuille de figuier : « C’est votre faute aussi, lui dis-je. Pourquoi ne mettez-vous point d’écriteau qui indique l’usage des divers objets de la maison ? »

Don Louis.

Nous voici arrivés, don Juan. — C’est là qu’elle demeure. Attendez-moi là.

Don Juan.

Quoi ! cette maison où je vois deux balcons ?

Don Louis.

Oui.

Don Juan, bas, à Citron.

Ah ! mon ami, quelle disgrâce !

Citron.

Comment cela, monseigneur ?

  1. La plupart des servantes de cabaret sont Galiciennes.