Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’HAMEÇON DE PHÉNICE

(EL ANZUELO DE FENISA.)


NOTICE.


Le titre de cette pièce n’en indique qu’à demi le sujet ; car, non content de mettre en scène une femme adroite qui prend à son hameçon un jeune homme novice encore, Lope montre comment ce jeune homme, formé par l’expérience, se fait restituer ce que l’hameçon lui a pris. C’est une sorte d’ironie assez semblable à celle qui a inspiré à M. Scribe plusieurs de ses plus jolies comédies.

La plupart des caractères sont fort bien tracés, notamment ceux de Phénice, de Lucindo et de Tristan. — Phénice, la courtisane tout à la fois avide et prodigue, rusée mais sans prévoyance, et se passionnant à la première vue pour une femme déguisée en homme, me semble d’une excellente observation. — Lucindo est bien le jeune négociant, disposé comme tous les jeunes gens de son âge aux folies d’amour, mais tenant à son argent, et qui ne voudrait pour rien au monde compromettre le crédit de sa maison. — Quant à Tristan, avec son sang-froid, sa prudence, sa pénétration, c’est le domestique qui a vieilli dans une maison de commerce, et à la sagesse duquel on devait confier un jeune homme qui fait son premier voyage. Ces caractères seuls, bien individualisés, prouveraient l’erreur et la légèreté des critiques qui ont dit que Lope ne mettait en scène que des caractères généraux[1].

On remarquera également dans cette pièce la manière dont le poëte a peint les Espagnols en Italie. Ces mœurs sont d’une vérité historique. Lope les avait observées pendant son séjour en Italie (1588-1590), et peut-être a-t-il lui-même joué un rôle dans quelqu’une de ces scènes qu’il décrit si bien.

Mais ce qu’il y a surtout d’admirable dans cette comédie, c’est l’esprit. Dans aucune de ses pièces, peut-être, Lope n’en a mis autant ni d’aussi bonne qualité. Quel naturel ! quelle verve ! quelle exquise finesse ! quelle gaieté aimable et facile ! Me sera-t-il permis de l’avouer : je préfère cet esprit-là aux épigrammes réfléchies de Beaumarchais ; et si quelqu’un de mes lecteurs n’était pas disposé à partager ce sentiment, je lui dirais, lisez Lope lui-même.

Tous les critiques espagnols ont vanté avant nous l’Hameçon de Phénice. Dans son excellent livre intitulé Études sur l’Espagne, M. Louis Viardot recommande aussi cette pièce d’une façon toute particulière.

  1. Par exemple, Bouterweck.