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LE CHEMIN DE BUENOS-AIRES

assis. La gosse passa. Je l’invitai. Elle était mal habillée, avec des souliers usés. Je vis tout de suite que c’était une rien du tout, et qui mangeait sans jamais savoir un quart d’heure avant si elle mangerait. Je l’ai emmenée dîner. Je me suis occupé d’elle. C’était malade, ça avait la gale. Le lendemain je l’ai conduite chez le médecin. C’était une fille qui paraissait avoir une bonne mentalité, c’est-à-dire docile, pas féministe ; je lui ai acheté des chemises, parce qu’elle n’en avait qu’une. Deux robes, des bas, des souliers, un parapluie. Je la faisais manger à midi et le soir. Vous pensez qu’elle était contente.

Puis un jour, je lui ai dit que je m’en allais. Il fallait la voir pleurer. Elle me demanda pourquoi je m’en allais. Je lui ai dit que je partais pour l’Amérique.

— C’est-y que tu ferais la traite des blanches ?

Je lui ai répondu que je faisais la traite des noirs.

Il rit.

— Si tu veux venir, lui dis-je, je t’emmène, tu ne me quitteras pas puisque je te plais. Qu’est-ce que tu faisais ici ? Tu feras la même chose là-bas. Ici tu n’es qu’une malheureuse. Là-bas tu seras une rupine. Ici tu as peur de ne pas manger. Là-bas tu auras peur d’engraisser. Comprends-tu, tête sans cerveau ?