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JE RENDS VISITE À JAKE OPPENHEIMER

rester étendus sans vêtements, lorsqu’il fait chaud ; observer les mouches ; panser nos blessures ; frapper de l’un à l’autre une conversation. Ce sont là des actes dont nous avons maintes fois causé.

Ed. Morrell intervint en vain.

— Ne te fâche pas, professeur, de ce que je te dis là ! reprit Oppenheimer. Ce n’est pas pour t’offenser. Je ne prétends pas que tu as menti. Je dis simplement que as des fumées, comme un alcoolique. Et tu prends ensuite pour argent comptant les visions qui t’ont traversé la cervelle.

— Pardon ! protestai-je. Tu sais comme moi, Jake, que nous ne nous sommes jamais vus. Est-ce exact ?

— Je n’en sais rien et veux bien te croire sur parole. Quoique tu puisses m’avoir vu jadis, quelque part, sans connaître qui j’étais.

— Pardon ! Pardon ! Ne dévions pas de la question. En tout cas, je ne t’ai jamais vu déshabillé. Comment, alors, pourrais-je savoir et te dire que tu as deux cicatrises anciennes, l’une au coude droit, l’autre à la cheville droite ?

— Bagatelles ! Mon signalement court, ainsi que ma gueule, tous les bureaux de police des États-Unis. Ce n’est pas une rareté !

— Jamais, je t’assure, je n’en ai eu connaissance.

— Tu le crois comme tu le dis. Mais tu as oublié. Il y a comme cela, dans la vie, des tas de choses dont on ne se souvient plus et qui vous reviennent tout à coup. Cela arrive à tout le monde. Écoute-moi. Parmi les jurés qui me condamnèrent, à Oakland[1], à mes cinquante ans de prison, il y en avait un dont, un beau jour, j’oubliai totalement le nom. Eh bien, heu ! je restai, durant des semaines, étendu sur le dos dans ma cellule, à le chercher, sans pouvoir le retrouver. Impos-

  1. Ville de Californie, sur l’océan Pacifique. Jack London y exerça, dans sa jeunesse, le métier de crieur de journaux.