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LE VAGABOND DES ÉTOILES

corde, d’une longueur de plusieurs brasses. Mon courage et mon espoir en un avenir meilleur en furent derechef réconfortés. Mais, à la vue de la nourriture exquise que m’offrait cette baleine, je retombai dans le péché de gourmandise et tellement me gavai, que je manquai encore en mourir.

La chair du gros cétacé me fournit pour une année de vivres et alterna désormais, à mes repas, avec celle des mulets et des phoques. De sa graisse, j’exprimai, dans une de mes jarres, une huile exquise et parfumée, où je trempais, en les mangeant, mes tranches de viande ou de poisson. J’aurais pu même me fabriquer une mèche avec la guenille qui me servait de chemise, et, la trempant dans l’huile, l’allumer, en faisant jaillir le feu du heurt d’un silex contre l’acier du harpon. Mais j’estimai que cette lampe eût constitué pour moi un luxe superflu, et j’abandonnai aussitôt cette idée. Je n’avais aucun besoin de lumière quand les ténèbres de Dieu descendaient sur moi et je m’étais habitué à dormir, hiver comme été, du coucher du soleil à son lever.

Moi, Darrell Standing, qui écris ces lignes dans la prison de Folsom, je me permets de placer ici une réflexion personnelle. Après avoir vécu, dans une existence antérieure, la rude vie que je viens de raconter, et toute cette torture de mon corps, toutes ces privations de mon estomac, comment, oui, aurais-je pu m’émouvoir des tourments que m’infligeait le gouverneur Atherton ? Ma vie actuelle est une structure construite, à travers les siècles, par mes vies passées. Que pouvaient bien être pour moi, gouverneur imbécile, dix jours et dix nuits de camisole ? Pour moi qui, lorsque j’étais Daniel Foss, avais patiemment croupi, huit ans durant, sur un îlot rocheux, perdu sur l’océan !

La huitième année se terminait. On était en septembre, et j’avais élaboré le plan audacieux de surélever ma pyramide, à soixante pieds au-dessus du sol. Mais, comme je me réveillais un matin, j’aperçus un navire