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LE VAGABOND DES ÉTOILES

Je ne doutais pas, d’ailleurs, que la Providence, qui avait déjà tant fait en ma faveur, n’envoyât, un jour, quelqu’un pour ma délivrance.

Tout sevré que j’étais du commerce de mes frères et des commodités coutumières de la vie, je devais bien admettre, à la réflexion, que ma situation comportait de notables avantages. Mon île était petite, mais j’en étais le maître incontesté. Il était bien peu probable que personne, sauf les bêtes de l’océan, m’en contestât jamais la tranquille jouissance.

D’autre part, l’île étant inaccessible, mon repos n’était troublé, la nuit, par aucune crainte, et je n’avais rien à redouter d’une invasion de cannibales ou de bêtes féroces.

Mais l’homme est une créature étrange, que quelque désir nouveau tourmente sans cesse. Moi qui, si longtemps, n’avais demandé à la bonté de Dieu qu’un peu de viande putréfiée pour me rassasier et, pour me désaltérer, une goutte d’eau saumâtre, je ne fus pas plus tôt en possession d’une réserve d’excellente viande salée et d’une provision assurée d’eau douce, que je commençai à ronchonner. Je voulais du feu, et sentir dans ma bouche la saveur de la viande cuite. De là à souhaiter quelques-unes des excellentes friandises dont je me régalais à la table familiale, il n’y avait qu’un pas. Il fut vite franchi et je voyais flotter dans mes rêveries une foule de mets délicieux, auxquels je me promettais de faire largement honneur, si jamais Dieu me tirait de mon île.

C’était alors, j’en suis persuadé, le vieil Adam qui reparaissait en moi, ce père lointain qui se révolta, le premier, contre les Commandements du Seigneur. Une perpétuelle révolte est dans l’homme. Elle tourmente, d’inutiles désirs et d’efforts vains, son esprit inquiet, son cœur opiniâtre et mauvais. Croiriez-vous que j’en étais, par moments, à me désespérer de n’avoir plus mon tabac ? Cette pensée revenait me torturer jusque