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À L’INSTAR DE ROBINSON

Cette profusion d’eau saumâtre me rendit étonnamment heureux. Lorsque j’eus découvert le cadavre d’un phoque, que les lames avaient, comme moi-même, projeté dans l’île, par-dessus les brisants de la côte, et qui gisait là depuis plusieurs jours, mon bonheur n’eut plus de bornes. Pas un marchand dont les navires reviennent à bon port, d’un long voyage prospère, dont les magasins s’emplissent jusqu’au toit de denrées précieuses, dont le coffre-fort se bonde d’un afflux de dollars, ne s’estima jamais, j’en suis certain, aussi riche que je me jugeai l’être désormais. Je me jetai à genoux, pour remercier Dieu derechef. Dieu, j’en étais de plus en plus persuadé, avait décidé, dès la première heure, que je ne devais pas mourir.

Je recueillis aussi quelques brassées d’algues marines, que je fis sécher au soleil, et qui, le soir, étendues sur le roc, me servirent de matelas, au grand soulagement de mon pauvre corps meurtri. Pour la première fois depuis de longues semaines, mes vêtements n’étaient plus mouillés. Si bien que je m’endormis d’un profond sommeil, fruit à la fois de mon épuisement et de la santé qui revenait.

Lorsque, cette bonne nuit passée, je me réveillai, j’étais un autre homme. Le soleil s’était a nouveau caché. Mais je ne m’en affectai pas et j’appris très vite que Dieu, qui ne m’avait pas oublié pendant mon sommeil, m’avait préparé d’autres et merveilleux bonheurs.

Aussi loin que pouvait porter la vue, les rochers côtiers étaient jonchés de phoques, qui s’y étalaient paresseusement. J’en écarquillai mes yeux, je me les frottai de la main, afin de m’assurer que je n’avais pas la berlue. Ils étaient là des milliers, et d’autres encore, non moins nombreux, folâtraient dans la mer. De leurs gorges sortaient des sons rauques, dont l’ensemble formait un vacarme prodigieux et étourdissant. Ma première pensée fut que c’était de la viande qui s’offrait à moi, de la viande pour une douzaine d’équipages.