Page:London - Le Vagabond des étoiles.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.
206
LE VAGABOND DES ÉTOILES

Le vieux Lingaard, trop âgé pour la manœuvre du vaisseau et pour ramer, remplissait à bord divers offices, dont celui de chirurgien, et, accessoirement, de sage-femme. C’est lui qui accoucha les captives enceintes, entassées sur les ponts, sous l’ouragan. Ce fut donc lui qui me mit au monde, dans les écumes salées des flots déchaînés, qui s’abattaient sur ma mère et sur lui, et sur moi-même.

J’ai la pleine conscience de mon être, dès l’instant où s’ouvrirent mes yeux.

J’étais vieux à peine de quelques heures lorsque Tostig Lodbrog porta, pour la première fois, les yeux sur moi. Tostig Lodbrog était le chef du navire élancé, sur lequel nous voguions, et des sept autres navires qui suivaient le sien, et qui avaient pris part à la hardie et sauvage expédition.

Tostig Lodbrog était surnommé « Muspell » qui veut dire le « Feu Brûlant ». Car la flamme de la colère ne cessait de brûler en lui. Il était brave et cruel, et dans sa large poitrine il n’y avait pas trace de miséricorde, ni de pitié. Avant même que la sueur de la bataille d’Hasfarth se fût séchée sur son corps, Tostig Lodbrog, appuyé sur sa hache, dévorait le cœur de Ngrun, qu’il venait d’arracher de la poitrine ouverte du vaincu. Dans un accès de colère folle, il vendit un jour, comme esclave, son fils Garulf. Je me souviens l’avoir vu à Brunanbuhr, sous les poutres enfumées du rude palais où il festoyait, réclamer le crâne de Guthlaf, pour s’en servir comme d’une coupe[1]. Jamais il ne buvait de vin parfumé que dans le crâne de Guthlaf.

Or ce fut à lui que, sur le pont oscillant, le vieux Lingaard m’apporta. J’étais enveloppé, nu, dans une peau de loup, tout imprégnée de sel marin. Venu avant terme, j’étais, par suite, fort menu.

  1. Brunanbuhr est le nom d’un endroit incertain, situé dans le nord de l’Angleterre, où se livra jadis une grande bataille contre les pirates scandinaves.