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QUAND J’ÉTAIS RAGNAR LODBROG

Tout homme a, comme moi, un puissant et long passé. Mais très peu d’hommes ont eu le bonheur de connaître l’isolement des Cachots Solitaires et l’expérience prolongée, destructive et vivifiante à la fois, de la camisole de force. Là fut ma bonne fortune. Voilà ce qui me permit de revivre un grand nombre de mes existences antérieures et, parmi celles-ci, celle du cavalier colossal, contemporain du Christ.

Je m’appelais alors Ragnar Lodbrog. Énorme, je l’étais vraiment, et je dépassais d’une demi-tête les plus beaux Romains de la Légion. De toutes mes vies anciennes, celle-ci est peut-être la plus aventureuse et la plus étrange. Il y aurait à écrire sur elle des volumes. Je me contenterai d’en rapporter les événements les plus saillants.

Ragnar Lodbrog n’avait pas connu sa mère. On m’a conté ensuite que j’étais né parmi la tempête, dans les mers du nord de l’Europe, sur un navire à la proue saillante, acérée comme un bec d’oiseau. Né d’une femme faite captive à la suite d’un combat naval, d’une descente victorieuse sur une côte étrangère et du pillage d’une de ses villes fortes.

De cette mère je n’ai jamais su le nom. Le vieux Lingaard m’a dit seulement qu’elle était morte, au plus fort de la tempête, après avoir accouché de moi, et qu’elle était d’origine danoise. De tout ce que Lingaard m’a conté et que mon jeune âge avait en partie oublié, je me souviens seulement qu’il m’a parlé d’un combat naval, d’une bataille à terre, de la mise à sac d’une ville prise et incendiée puis d’une fuite hâtive sur les navires, au sein d’une mer glaciale et démontée, tandis que l’ennemi, revenu en plus grand nombre, faisait, du haut des falaises, pleuvoir sur les vaisseaux une avalanche de rochers. Beaucoup des assaillants périrent au cours de l’embarquement. Les autres s’élançaient, les pieds cramponnés à leur navire, sur le glauque chemin de la mort.