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RÊVES D’OPIUM OU RÉALITÉS ?

virent, once par once, je continuai à diminuer de poids, jusqu’à me rapprocher plus, selon mon calcul approximatif, de quatre-vingts livres que de quatre-vingt-dix.

Il y a des gens qui s’étonnent de voir à quel point certains hommes peuvent s’endurcir. C’est une affaire d’entrainement. Le gouverneur Atherton était un homme dur, et sa dureté m’endurcissait. Par contre-coup, ma propre dureté réagissait sur la sienne et l’accroissait.

Quoi qu’il fît, il ne réussit pas pourtant à me tuer. Si je vais mourir, c’est qu’une loi précise et un juge impitoyable, qui l’a appliquée, m’ont condamné à la potence, pour avoir frappé un geôlier avec mon poing. Jusqu’à la dernière seconde, je protesterai toujours que le nez de ce gardien avait une aptitude spéciale à saigner. Quand je donnai ce coup de poing, mes yeux clignotaient à la lumière, comme ceux d’une chauve-souris, et j’étais, à la lettre, un squelette, chancelant sur ce qui lui servait de pieds. Comment aurais-je pu frapper bien fort ? Quelquefois je me demande si ce malheureux nez a réellement saigné. Bien entendu, Thurston l’a juré, à la barre des témoins. Mais j’ai vu des geôliers prêter serment pour de pires parjures.

Ed. Morrell brûlait de savoir si j’avais continué à réussir mes expériences. Mais ce fut seulement lorsque, la nuit suivante, Jones Face-de-Tourte fut venu relever Smith que, profitant de son illégale faculté de pioncer, je pus engager sérieusement la conversation avec mes deux compagnons. Lorsque j’eus terminé mon récit, Oppenheimer déclara

— Rêves d’opium !

Puis, après un silence, il reprit :

— Au temps où j’étais garçon de courses, j’ai, une fois, fumé de l’opium. Je puis te dire, Standing, que, pour ce qui est de voir des choses, je t’aurais rendu des points. C’est, je me figure, le truc qu’emploient les romanciers pour se monter l’imagination.

L’opinion d’Ed. Mortel m’était favorable, au con-