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LE SUPPLICE DE LA SOIF

Je regardai Jed et il me regarda. Nos pensées se croisèrent, comme nos regards. Je le savais têtu, il me savait obstiné, et nous étions décidés, chacun, à demeurer quand même, si l’un de nous se retirait.

Je me remis donc en marche et il m’imita.

— Ici, Jesse ! cria à nouveau ma mère. Et il y avait plus d’une gifle dans ses paroles.

Jed m’interrogea des yeux. Je secouai la tête et déclarai :

— Allons-y !

Nous détalâmes, à toutes jambes, sur le sable et il nous parut que tous les fusils des Indiens étaient lâchés sur nous. J’arrivai à la source le premier, en sorte que Jed, qui m’avait suivi de près, dut attendre, pour remplir ses seaux, que j’eusse empli les miens.

— À mon tour, maintenant ! dit-il.

Et il mit tant de lenteur dans son opération qu’il avait visiblement l’idée de me laisser partir seul, afin d’avoir la gloire de demeurer le dernier.

Je tins bon et me collai contre terre, en attendant qu’il eût terminé. Je suivais du regard les petits nuages de poussière qu’autour de nous soulevaient les balles. Finalement, nous reprîmes côte à côte notre course.

— Pas si vite ! disais-je à Jed. Tu vas renverser la moitié de ton eau !

Ma remarque produisit son effet, car il ralentit le pas sensiblement.

À mi-chemin, je trébuchai et me plaquai tout de mon long, la tête la première. Une balle qui avait frappé le sol, juste devant moi, avait fait jaillir du sable plein mes yeux. Sur le moment, je me crus touché.

Jed se tenait debout, près de moi, et m’attendait.

— Tu l’as fait exprès ! ricana-t-il, tandis que je me remettais sur mes pieds.

Je saisis aussitôt sa pensée. Il croyait que je m’étais volontairement laissé choir, afin de renverser mon eau et d’avoir la gloire d’en retourner chercher d’autre.