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LA GRANDE TRAHISON DES MORMONS

— Ils ne ménagent pas, capitaine, la viande de cheval… murmura-t-il à voix basse. Dans quel but crèvent-ils ainsi leurs bêtes ? Oui, dans quel but, si ce n’est à notre intention ?

Mon père avait déjà remarqué l’état pitoyable des deux bêtes, qui n’avait pas échappé non plus à mes yeux d’enfant. Je vis un sombre éclair passer dans le regard de mon père, ses lèvres se pincer, et sa face poussiéreuse crisper ses lignes, pendant un instant. Comme deux et deux font quatre, je savais dès lors que les deux chevaux fourbus étaient, dans notre situation déjà angoissante, une nouvelle note sinistre.

— Je crois, en effet, Laban, se contenta-t-il de dire, qu’ils nous surveillent.

Mon père, accompagné de Laban et de plusieurs autres membres de notre caravane, se rendit ensuite au Moulin de Fillmore, afin de tenter, comme à Nephi, d’acheter de la farine. Désobéissant à ma mère et curieux d’observer de près nos ennemis, je les suivis sans être aperçu.

Quatre ou cinq hommes se tenaient en groupe auprès du meunier, pendant l’entrevue. L’un de ces hommes, que nous devions, pour notre malheur, retrouver par la suite, était grand, large d’épaules, et pouvait aller vers la soixantaine. Il donnait une impression de vigueur, de force physique et morale, peu commune.

Contrairement aux gens que nous avions l’habitude de rencontrer dans cette région, il avait le visage entièrement rasé. Mais il ne s’était pas fait la barbe depuis plusieurs jours et les poils, qui en pointaient drus, étaient gris.

Sa bouche était largement fendue et il serrait ses lèvres l’une contre l’autre, comme les gens qui ont perdu leurs dents de devant, Il avait un gros nez, épais et massif. L’ensemble de sa figure était large et carré, avec les os des joues très saillants et des bajoues qui pendaient lourdement, à droite et à gauche de la bouche. Dominant le tout, le front était intelligent et vaste, et les yeux,