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LE VAGABOND DES ÉTOILES

Je vis ma mère qui se mordait les lèvres, pour se dominer.

— Nous sommes, répondit-elle, de l’Arkansas[1]

Il reprit :

— Si vous avez répudié le pays qui vous a vus naître, c’est apparemment que vous avez eu pour le faire de bonnes raisons, vous, qui avez chassé des rives du Missouri le peuple élu du Seigneur ?

Ma mère ne répondit pas.

Après avoir attendu pendant un instant sa réponse, il continua :

— De bonnes raisons, oui, certes, puisque maintenant vous venez gémir et mendier du pain près de ceux que vous avez persécutés.

Tout enfant que j’étais, je connaissais déjà la colère, le courroux atavique et rouge, toujours irrésistible et indomptable, que j’étais incapable de contenir. Ce fut moi qui répondis en criant, d’une voix sifflante :

— Vous mentez ! Nous ne sommes pas du Missouri et nous ne gémissons pas. Non, nous ne sommes pas des mendiants ! Nous avons de quoi payer.

— Tais-toi, Jesse ! intervint ma mère, en posant vivement, et bien à contre-cœur, sa main sur ma bouche.

Puis, se tournant vers l’étranger :

— Éloignez-vous, dit-elle, et laissez cet enfant tranquille !

Trop promptement cette fois pour que ma mère pût m’en empêcher, m’étant dégagé de sa main qui me bâillonnait, je m’éloignai d’elle, en cabriolant autour du feu, et je m’exclamai, tout en sanglotant :

  1. Le Missouri et l’Arkansas sont deux affluents du Mississippi, un des plus grands fleuves des États-Unis et qui, coulant du nord au sud, va se jeter dans le golfe du Mexique. Ils ont donné chacun leur nom à deux États, séparés tous deux, par les Montagnes Rocheuses, de l’État d’Utah et du Lac Salé, où se rencontrent les principales colonies de Mormons. Au delà, vers le Pacifique, se trouve la Californie, but des émigrants en question, comme nous le verrons tout à l’heure.