Page:London - Le Vagabond des étoiles.djvu/106

Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
LE VAGABOND DES ÉTOILES

et livide, assise à côté de moi, et qui consolait de son mieux un bébé en larmes, qu’elle tenait dans ses bras.

Cette femme était ma mère. L’homme dont j’apercevais les épaules, sur le siège du chariot qu’il conduisait, à l’extrémité du long tunnel de toile, était mon père.

Je me mis à ramper parmi les ballots dont était chargé le chariot, et ma mère me dit, d’une voix dolente et lasse :

— Ne peux-tu, Jesse, te tenir un peu tranquille ?

Jesse était mon nom. J’entendis ma mère qui appelait « John » mon père. J’ignorais mon nom de famille, ne l’ayant pas entendu prononcer. Tout ce que je savais, c’est que les autres hommes qui faisaient partie de notre caravane d’émigrants appelaient mon père « capitaine ». Il était le chef et ses ordres étaient suivis par tous.

Tout en rampant, j’atteignis l’extrémité du tunnel et je réussis à aller m’asseoir sur le siège, près de mon père.

L’air, imprégné de la poussière que faisaient lever les chariots et les sabots des animaux qui les tiraient, était suffocant. On eût dit une brume opaque, un brouillard blafard où le soleil, sur son déclin, luisait rouge, comme une boule sanglante.

Tout était uniformément sinistre : le soleil rouge ; la lumière ambiante ; le visage contracté de mon père ; l’agitation désespérée du bébé dans les bras de ma mère, qui ne parvenait pas à le calmer ; les six chevaux, attelés au chariot, que mon père n’arrêtait pas de fouailler et qui, sous la croûte de poussière qui les couvrait, n’avaient plus aucune couleur.

Sinistre était le paysage, dont la désolation infinie était une douleur pour les yeux. À droite et à gauche, s’étendaient des collines basses. Çà et là, sur leurs pentes, poussaient seules de rares touffes de broussailles, rabougries et grillées par le soleil. Toute la surface de ces collines était aride et désertique et, comme le chemin que nous suivions à leur base, faite de sable et de cailloux, et parsemée de rochers.

Partout l’eau était absente et tout signe d’eau faisait