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Si l’homme était tombé, sa barbe se fût brisée en morceaux. Mais il se souciait peu de cet appendice. Tous les chiqueurs payaient au froid le même tribut, dans le Northland. Deux fois déjà, il s’était trouvé dehors, avec des sautes de froid de cinquante et de soixante degrés du thermomètre à alcool, et le même phénomène s’était produit.

Plusieurs milles durant, l’homme poursuivit son chemin à travers de vastes forêts plates. Il traversa ensuite un grand marécage gelé, semé de bouquets d’arbustes noirs et, arrivé dans une vallée, il descendit jusqu’à la berge d’un petit cours d’eau glacé. C’était l’Henderson Creek.

Il consulta sa montre. Dix heures. Il savait qu’il marchait à une allure de quatre milles à l’heure, et il en conclut qu’il serait arrivé, pour midi et demi, à la première fourche de la rivière, distante encore de dix milles. Il décida que, pour célébrer cet heureux événement, il mangerait son déjeuner, une fois arrivé à ce point.

Le chien, découragé, la queue pendant entre les jambes, reprit sa place derrière les talons de son maître qui, de sa marche légèrement balancée, se mit à suivre le lit de la rivière. Plus profonde, la piste laissée par les derniers traîneaux qui avaient passé là était encore visible. Mais la neige avait recouvert toute trace de pas humains. Il y avait un mois que personne n’avait remonté ni descendu le silencieux vallon.

L’homme allait toujours, d’un pas régulier. Son cerveau ne remuait pas de réflexions inutiles ; il ne pensait à rien, sinon au déjeuner dont l’instant approchait, et qu’à six heures du soir il aurait retrouvé ses camarades. Il ne disait rien non plus, pour la raison majeure qu’il n’y avait personne avec qui engager la conversation. Et d’ailleurs, eût-il voulu parler qu’il ne l’aurait pu, par l’effet de cette muselière de glace