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qu’un chaos de rochers, dépourvus de toute végétation, et de blocs erratiques. C’était le diable d’y démêler sa route, dans l’obscurité noire. À tout moment, il fallait revenir sur ses pas et faire quatre fois pour une le chemin nécessaire.

Fred Churchill atteignit enfin le faîte du col ; il y soufflait un vent furieux, tout plein de neige. Il alla donner du nez, providentiellement, dans une petite tente qui était déserte, et où il s’introduisit en rampant. Il y trouva quelques pommes de terre frites, qu’il avala gloutonnement, et une douzaine d’œufs crus, qu’il goba.

Quand la bourrasque de neige commença à s’apaiser, il entreprit de descendre à l’autre versant de la montagne. C’était, dans la nuit, une aventure hasardeuse entre toutes. Plus encore qu’en montant, Fred Churchill tout grelottant trébuchait et tremblait, roulait avec son sac sur des pentes vertigineuses bordées d’insondables précipices ; pour seul guide, la lueur des étoiles, heureusement reparues.

Mais, à mi-côte, celles-ci disparaissaient de nouveau sous les nuages et Fred Churchill, dans un passage spécialement mauvais, culbuta, cul par-dessus tête, et roula sans savoir où. Il atterrit, meurtri et ensanglanté, dans une sorte de trou pestilentiel, où il fut d’abord comme suffoqué. C’était là que les guides et les porteurs du Chilcoot avaient coutume de précipiter leurs bêtes épuisées ou mourantes. Le trou était plein de chevaux morts. Churchill en compta, en tâtonnant, dix-sept. Plus un dix-huitième, qui vivait encore, et qu’il acheva de son revolver.

En s’aidant des pieds et des mains, asphyxié à en mourir, il se tira hors de ce charnier. Puis il se souvint que le sac de Bondell était tombé avec lui. Il redescendit dans le trou pestilentiel, s’y traîna sur les genoux et finalement retrouva l’objet. Quand il rejoignit la piste avec son précieux fardeau, il ne put s’empêcher