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poêle, dans leurs habits mouillés et s’endormirent, Fred Churchill avec le sac de Bondell comme oreiller.

Au bout de deux heures, Churchill était déjà debout. D’un coup de pied, il réveilla Antonsen, prit le sac, et tous deux regagnèrent la pirogue, à la poursuite de la Flora.

Vainement, le capitaine Jones avait tenté de les en dissuader.

— Rien n’est impossible, répondit Churchill. Un accident, on ne sait quoi, peut survenir au vapeur et le retarder. Sa machine, sans doute, ne vaut pas mieux que celle du W.-H. Willis. Mon devoir est de le rattraper et de le ramener en arrière, pour prendre mes camarades.

Le fleuve, au-delà du Tagish, s’élargit comme un lac. Le vent d’automne le soulevait et déchirait les vagues qui se vaporisaient en écume blanche. Ayant vent debout, la pirogue embarquait d’énormes paquets d’eau et les deux hommes devaient constamment se relayer pour la vider à l’aide d’une écope. De la tête aux pieds, ils étaient trempés d’eau glacée. Mais ils allaient toujours.

La Flora, heureusement, était un vieux sabot et le vent devant gênait considérablement sa marche. À la fin du jour, elle fit halte une heure ou deux, à l’extrémité du lac Tagish, pour réparer quelques avaries. Et ce fut là qu’au plus fort d’une rafale de neige, les deux hommes la rejoignirent.

Ayant accosté le vapeur, ils appelèrent, et on leur jeta une échelle de corde. Antonsen s’affaissa sur le pont, comme une masse, et incontinent se mit à ronfler, à la place même où il était tombé. Fred Churchill avait l’air d’un fou. À peine ses vêtements lui tenaient-ils au corps. Sa figure, à demi gelée, était toute boursouflée. Ses mains étaient à ce point gonflées, qu’il ne pouvait plus joindre ses doigts. Et ses