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vois que tu n’y es pas parvenu. Où as-tu été, pendant tout ce temps ?

Mentant effrontément, Morganson expliqua :

— J’ai été occupé à abattre et à fendre du bois, pour un agent de la Compagnie des Vapeurs du Yukon. Elle prépare, dès cette saison, ses provisions d’été.

Il débita son mensonge sans broncher, et d’un air indifférent. Car en dépit de son vacillement mental, il comprenait qu’il importait, avant tout, de ne point se trahir.

De son pas lourd il traversa la salle, afin de se rapprocher du comptoir et, quand il frôla les trois voyageurs assis autour du feu, son cœur battit furieusement. Car ils possédaient de la vie, sa vie !

Le cabaretier revint à la charge.

— Et où diantre as-tu fendu ton bois, camarade ?

— Oh ! pas bien loin d’ici… répliqua Morganson. Dans les forêts qui se trouvent en face, sur la rive gauche du fleuve. Et j’en ai aligné un fameux tas !

— C’est cela, c’est cela… approuva le cabaretier, en hochant la tête d’un air convaincu. J’ai entendu plusieurs fois, quand le vent portait, le bruit sourd de coups de hache. Alors c’était toi qui opérais ? Parfait… Tu veux bien accepter un verre !

Morganson s’arc-bouta au comptoir, pour ne point choir de joie. Un verre ! Il se serait volontiers agenouillé devant son hôte, en lui jetant les bras autour des jambes. Il lui aurait, en guise de remerciements, baisé les genoux, embrassé les pieds !

Il essaya de balbutier son acquiescement. Les mots lui restaient dans la gorge. Mais le cabaretier n’avait pas attendu sa réponse et lui tendait déjà la bouteille.

Il n’était point quitte, cependant, des questions de son bienfaiteur, qui demanda :

— Et qu’est-ce que tu as trouvé à boulotter ? Couper du bois est excellent pour se réchauffer, mais

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