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thé, qui était autrement délectable que la tisane de bourgeons de sapin, et qu’il fit très fort. Toute la provision y passa. Cela importait peu. Sans difficulté, le lendemain, il la renouvellerait à Minto. Lorsqu’il fut gavé, il fuma. Il fuma les feuilles de thé usagées, qu’il fit, au préalable, sécher dans son poêlon. Le lendemain, il fumerait du tabac, du vrai tabac ! Cette pensée le plongea dans une telle joie qu’il y alla encore, avant de se coucher, d’une dernière tranche d’élan.

Mais il n’était pas, depuis cinq minutes, dans ses couvertures, qu’il se releva. Il était bourré à éclater, et ce n’était pas encore assez. Il ingurgita un morceau de viande supplémentaire.

Le lendemain, en s’éveillant, il sembla à Morganson qu’il sortait de l’engourdissement de la mort. À ses oreilles résonnaient des bruits insolites. Ne se souvenant plus exactement du lieu où il était, il regardait stupidement autour de lui. Ses yeux tombèrent sur la poêle à frire, qui contenait encore le reliquat du dernier bifteck entamé par lui.

Alors la réalité lui revint d’un coup. Pris d’un tremblement soudain, il concentra son attention sur les bruits étranges qu’il entendait.

Il bondit hors de ses couvertures, en lançant un juron, et il voulut enfiler ses mocassins. Ses jambes, ravagées par le scorbut, refusèrent de plier, et l’effort qu’il fit pour les faire céder lui arracha un cri de douleur. Il recommença plus lentement l’opération et, ayant réussi à se chausser, il quitta la tente.

De la butte boisée qui lui faisait face et où il avait dressé son échafaudage, s’élevait un concert de grognements confus, ponctués de glapissements, brefs et aigus. Malgré ses souffrances, il hâta sa marche, en poussant de grands cris menaçants.

Comme il débouchait dans la clairière, il vit une bande de loups qui détalait dans la neige, parmi les

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