Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Morganson était, par le froid, ainsi refoulé sous sa tente, la piste soudain fourmilla de vie.

Deux traîneaux passèrent le premier jour. Puis deux autres, le second jour. Une fois, chaque jour, il essaya de se frayer un chemin jusqu’au peuplier d’où il devait, pour tirer, braquer son fusil. Il succomba à la tâche et dut battre en retraite, étant arrivé trop tard. Et chaque fois, une demi-heure après qu’il avait regagné sa tente, un second traîneau passa.

*

Le froid ayant décru, Morganson put à nouveau revenir observer la piste du Yukon. Mais la piste était redevenue déserte.

Huit jours durant, il resta tapi dans la neige, et âme qui vive ne se montra. Il avait, sans que seulement son estomac s’en aperçut, réduit sa ration à un biscuit, soir et matin. Il s’émerveillait, par moments, de constater avec quelle ténacité l’existence s’accrochait à lui. Il ne se serait jamais cru capable d’une telle endurance.

Puis la piste s’anima de nouveau. Mais c’était de la vie avec laquelle il ne pouvait se mesurer. Ce qui passait devant lui était un détachement de la Police du Nord-Ouest. Une vingtaine d’hommes, avec autant de traîneaux et une armée de chiens.

Morganson s’aplatit davantage sur le sol et les policiers ne virent rien de la menace de mort qui se tenait en embuscade, à proximité d’eux, sous la forme d’un homme à demi mort lui-même.

La perte de son pouce était, pour Morganson, une grande gêne. Tout en continuant à observer la piste, il avait pris l’habitude d’enlever sa moufle, de temps à autre, et d’enfoncer vivement sa main sous sa veste jusqu’à l’aisselle, afin de ramener la chaleur dans ce malheureux pouce.

215