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Subienkow laissa tomber l’objet dans la marmite, qui bouillait sur le feu, et se mit à entonner une incantation magique. C’était une chanson d’amour française, qu’il débitait, avec grande solennité, tout en remuant le mélange magique.

Ce faisant, il déclara :

— Les paroles que je prononce sont indispensables à la vertu du remède. Sans elles, il ne vaudrait rien. Elles lui donnent la majeure partie de sa force… Tout est terminé.

— Répète lentement ces paroles, édicta Makamuk, afin que je les apprenne à mon tour.

— Tout à l’heure, après que l’épreuve aura eu lieu. Quand la hache aura bondi trois fois sur mon cou, alors je te les enseignerai.

— Comment pourras-tu le faire ? demanda Makamuk avec anxiété, si le remède ne vaut rien et si tu es mort ?

Subienkow laissa éclater son courroux.

— Mon remède est infaillible ! Je ne permets pas que tu doutes de lui. Si pourtant je t’ai trompé, alors tu seras libre de me faire subir le même sort qu’à tous ceux-ci… Je t’autorise à me dépecer en aussi menus morceaux que le doigt du gros Cosaque.

Puis, se penchant sur la marmite, qu’il avait, depuis un instant, retirée du feu :

— Le mélange est déjà froid. C’est le bon moment. Je vais m’en frotter le cou, en chantant une autre incantation.

Et toujours aussi gravement, il entonna lentement un couplet de la Marseillaise, tandis qu’il se tartinait sur la nuque l’immonde mixture.

Un cri perçant interrompit la scène. C’était le Cosaque géant qui, dans un dernier réveil de sa formidable vitalité, s’était dressé sur les genoux. De grands éclats de rire et des applaudissements éclatèrent parmi les Indiens, tandis que le gros