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C’est à peine si vous en tirerez mille dollars. Eh bien, moi, pour la femme El-Sou, j’ai payé vingt six fois le prix de vos lances, de vos flèches et de vos fusils, de vos pelleteries et de vos fourrures, de vos tentes, de vos pirogues et de vos chiens. Cela, c’est une somme !

Gravement, les vieillards secouaient la tête, et la fente étroite de leurs longs yeux s’élargissait d’étonnement, à la pensée qu’une femme pouvait valoir aussi cher.

Celui qui saignait de la bouche s’essuya les lèvres, du revers de sa main, et demanda à chacun des six jeunes hommes qui accompagnaient Porportuk :

— Est-ce la vérité ?

Chacun d’eux répondit :

— C’est la vérité.

Il posa à El-Sou la même question et elle répondit affirmativement.

Akoun intervint.

— Porportuk, prostesta-t-il, n’a pas dit qu’il était vieux et qu’il avait des filles plus âgées qu’El-Sou.

— Porportuk, en effet, est un vieil homme, appuya El-Sou.

Le vieux qui saignait de la bouche déclara :

— C’est à Porportuk de savoir de quoi il est capable. Cela ne nous regarde pas. Nous aussi, nous sommes des vieillards. Attention ! Il n’appartient pas aux jeunes gens de juger les vieillards.

Et le cercle des vieux juges, mâchonnant des gencives et toussotant, fit des signes de tête approbatifs.

— Je l’ai prévenu, dit El-Sou, que je ne serai jamais sa femme.

— N’as-tu pas pris de lui, cependant, une somme égale à vingt-six fois tout ce que nous possédons ? questionna un des juges, qui était borgne.

El-Sou garda le silence.

— Est-ce vrai ? répéta le barbon.