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Ce fut alors, qu’accompagné de ses six acolytes, Porportuk apparut. Inlassablement, il avait pourchassé le couple et l’avait, à travers fleuves, monts et forêts, suivi à la piste. Akoun était sans défense et ne pouvait que gémir. Il se plaça solennellement sous la protection de la tribu dont il était l’hôte.

Mais Porportuk fit valoir aussi sa requête et les Indiens se trouvèrent perplexes. Porportuk prétendait mettre immédiatement la main sur El-Sou. Ils s’y opposèrent et déclarèrent qu’un jugement régulier était nécessaire, pour trancher le litige. Comme il s’agissait d’une affaire d’amour, il fut décidé que serait réuni le Conseil des Vieillards. Car les jeunes hommes, au cœur ardent, étaient susceptibles de se laisser aller à leurs impulsions sentimentales, au détriment de la justice.

Les vieux s’assirent donc, en formant le cercle, autour du feu qui fumait. Leurs visages étaient décharnés et leur peau ridée, et ils respiraient difficilement. La fumée les faisait hoqueter et, de leurs mains desséchées, ils repoussaient, de temps à autre, les moustiques qui avaient passé au travers d’elle. Cet effort suffisait à les épuiser et une toux creuse en résultait. Quelques-uns, par intermittence, crachaient le sang. L’un d’entre eux, qui se tenait un peu à l’écart, penchait sa tête en avant, et un filet rouge dégouttait de ses lèvres, lentement et sans arrêt. Tous, ils s’en allaient de la poitrine. Ils n’avaient plus pour longtemps à vivre et ce sont des morts qui s’apprêtaient à juger.

Porportuk exposa l’affaire et termina ainsi son discours :

— Pour elle, j’ai payé très cher. Un prix dont vous ne pouvez vous faire une idée. Vendez tout ce que vous possédez. Vendez vos lances, vos flèches et vos fusils. Vendez vos pelleteries et vos fourrures. Vendez vos tentes, vos pirogues et vos chiens. Vendez tout !