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— Comme une vraie squaw. Je sais faire moi-même mes vêtements, coudre, laver et raccommoder. Je me suis instruite de toutes ces choses, durant les huit années passées par moi à la Mission de la Sainte-Croix. Je sais lire et écrire l’anglais. Je sais jouer de l’orgue. Je connais aussi l’arithmétique et un peu l’algèbre. Je serai adjugée au plus offrant et il recevra, de moi, un acte de vente authentique de ma personne. J’ai omis de dire que je chante bien et que je n’ai jamais été malade de ma vie. Je pèse cent trente-deux pounds[1]. Mon père est mort et je n’ai point d’autre parent. Qui veut de moi ?

Ayant achevé son petit discours, elle jeta autour d’elle, sur la foule assemblée, un regard flamboyant d’orgueil et descendit de sa chaise. Tommy la pria d’y remonter, lui-même grimpa sur l’autre et mit en branle les enchères.

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Aux côtés d’El-Sou se tenaient les quatre vieux esclaves paternels. Ils étaient tout cassés et transis par l’âge, mais étaient demeurés fidèles à la fille de celui qui les avait nourris. En vieux philosophes qu’ils étaient, ils assistaient, impassibles, aux coups de folie de la jeunesse.

On remarquait au premier rang des amateurs plusieurs Rois indiens de l’Eldorado et du Bonanza venus du Haut-Yukon, et qui coudoyaient deux prospecteurs d’or en fâcheux état, enflés par le scorbut et s’appuyant sur des béquilles. Une squaw, à la lointaine patrie, faisait flamber curieusement ses prunelles. Un Sitkan, arrivé de la côte, semblait perdu dans ce milieu hétéroclite et se tenait debout près d’un Stick, riverain du lac Le Barge. Un peu plus loin, on voyait un groupe de six Canadiens français.

Pour décor, le paysage empourpré, éclairé par les

  1. Le pound vaut 453 grammes.