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saison, point d’obscurité nocturne sur la terre arctique et, vingt-quatre heures durant, O’Brien pouvait naviguer, à la vitesse de cinq milles à l’heure. Seul, le temps nécessaire au sommeil devait interrompre cette course folle, qui se faisait sans dépense d’énergie de la part de l’homme. Il calcula qu’en moins de vingt jours il aurait atteint la mer.

Couché tranquillement au fond du bateau et ménageant prudemment ses forces, Marcus O’Brien demeura quarante-huit heures sans manger. Au terme du second jour, il poussa l’embarcation vers des îles basses, à demi submergées, et y ramassa des œufs d’oies et de canards sauvages. Comme il n’avait point d’allumettes, il les goba crus. Les œufs étaient fortement avancés, mais ils le soutinrent tout de même.

Au croisement du fleuve et du cercle Arctique, O’Brien trouva le poste de la Compagnie de la baie d’Hudson. La brigade de relève n’était pas arrivée et le poste manquait complètement de vivres. Les hommes lui offrirent des œufs de canards sauvages. Il répondit qu’il en avait un boisseau à bord. On lui proposa également un verre de whisky, qu’il repoussa, en témoignant ostensiblement toute la violence de sa répugnance. Mais il obtint des allumettes, qui lui permirent de faire, désormais, cuire ses œufs.

Il continua sa course. Quand il passa devant les deux postes des Missions de Saint-Paul et de la Sainte-Croix, il somnolait et ne les vit point. Ce qui lui fit déclarer par la suite, en toute sincérité, qu’il n’existait pas plus de Missions sur le Yukon que sur le dos de sa main. Non, il n’y en avait pas, affirmait-il à ses contradicteurs, et il était payé pour le savoir !

Vers l’embouchure du fleuve, des vents contraires, qui prenaient à revers le courant, le retardèrent et son voyage en fut sensiblement prolongé. Une fois arrivé sur la côte de la mer de Behring, il mua son régime d’œufs de canards en un régime de viande de phoque,