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lants, que développait Mucluc Charley. Tantôt, au contraire, c’était Charley qui plaidait pour la vente et Percy Leclaire qui le contredisait obstinément. Il y eut un moment où ce fut O’Brien en personne qui proclama son intention de vendre, tandis que ses deux amis, les larmes aux yeux, unissaient tous leurs efforts pour l’en dissuader. Plus le trio absorbait de whisky, plus son imagination devenait fertile. L’éloquence des trois hommes était telle qu’ils se persuadaient mutuellement de la justesse de la thèse adverse et sans cesse retournaient leurs rôles.

Finalement, Mucluc Charley et Leclaire tombèrent d’accord, simultanément, qu’il fallait vendre et tous deux, réunis, se firent un plaisir scélérat de réduire à néant les ultimes objections de Marcus O’Brien. En désespoir de cause, O’Brien finit par demeurer la bouche bée. Vainement, en face de Jim le Frisé triomphant, il jeta des regards suppliants vers ceux qui l’avaient abandonné. En vain il lança, sous la table, un coup de pied bien senti dans les tibias de Mucluc Charley. Cet ami mal embouché, loin de vouloir comprendre, développa aussitôt un nouvel argument, un imbattable raisonnement en faveur de la vente.

Jim le Frisé avait été chercher de l’encre, une plume et du papier, et rédigea l’acte de cession. Puis il tendit la plume à O’Brien, pour qu’il signât.

— Encore une tournée… implora le malheureux. Encore une… Je signerai après…

Les verres furent remplis par Jim le Frisé. Après avoir vidé le sien, O’Brien le reposa sur la table, il prit la plume et se courba en avant. Sa main tremblait.

Il sema sur le papier de nombreux pâtés, puis se redressa soudain, comme si une idée imprévue l’avait frappé en pleine poitrine.

Il se dressa de toute sa hauteur, les yeux frémissants, et se balança, en avant et en arrière, tandis que