Page:London - Constuire un feu, nouvelles, trad Postif et Gruyer, 1977.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tué ? Si tu étais toi-même tant soit peu artiste, tu me comprendrais… Pourquoi je l’ai tué ? Mais pourquoi chantait-il faux ? Il chantait : « Je voudrais être un petit z’oiseau… » Sa voix était fausse, que j’en avais mal aux oreilles ! Je ne puis souffrir que la bonne musique. Et toujours il reprenait avec obstination : «… un petit z’oiseau… un petit z’oiseau… » J’en aurais, à la rigueur, supporté un, de ses petits z’oiseaux. Mais deux, non vraiment, c’était trop ! Je ne me suis pas fâché tout d’abord. Je suis allé vers lui, tout à fait poliment, et, sur un ton aimable, je l’ai prié, supplié… Il y avait là des témoins qui peuvent l’attester.

— Il est certain, affirma une voix qui s’éleva dans le public, que le gosier de Ferguson n’avait rien de celui d’un rossignol.

Marcus O’Brien parut ébranlé.

— Un homme a le droit, insista Arizona Jack, d’avoir le sens de l’art. J’ai prévenu Ferguson. Un z’oiseau de plus ou de moins, qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire ? S’il avait été, comme moi, raisonnable, rien ne serait arrivé. Je ne pouvais pas, pourtant, violer ma propre nature. Je connais des gens, aux oreilles délicates, qui auraient tué pour beaucoup moins… Je ne me refuse pas, au surplus, à payer pour mes sentiments artistiques. Je suis prêt à accepter la médecine et, par surcroît, à lécher la cuiller. Mais j’estime, Marcus O’Brien, que tu vas un peu fort, lorsque tu ne m’accordes que trois jours de vivres. Voilà, uniquement, pourquoi je réclame. Trois jours de vivres ! Autant m’ouvrir la tombe…

Marcus O’Brien semblait toujours hésitant. Il jeta vers son ami, Mucluc Charley, un clin d’œil interrogateur.

— Il me semble, en effet, ô juge, suggéra l’homme, que trois jours de vivres, c’est un tantinet sévère. Mais c’est toi, O’Brien, qui dois décider.