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baissa à quarante, puis soixante degrés sous zéro. Je me souviens parfaitement de cette exceptionnelle froidure. J’étais alors à Forty-Mile. La froidure ne fit qu’augmenter avec le jour et, à onze heures du matin, le thermomètre de la Compagnie tomba à soixante-quinze degrés. En cherchant bien dans ma mémoire, je pourrais retrouver la date exacte.

« Durant ce temps, ce même matin, Dave Walsh chassait l’élan, avec son diable d’Indien, qui plus tard, m’a tout raconté.

« Voilà, tout à coup, que crève la glace de la rivière, au-dessus d’une source invisible, et que compère l’Indien s’enfonce dans l’eau, jusqu’à la taille. À peine en fut-il sorti que naturellement, il se mit aussitôt à geler.

« La seule chose à faire était de construire un feu. Mais Dave Walsh, je te l’ai dit, était un vrai taureau. Il n’y avait qu’un demi-mille jusqu’au campement, où brûlait encore le feu de la nuit. Pourquoi se donner la peine de ramasser du bois et de l’allumer ?

« Dave empoigne l’Indien, le balance en l’air et le charge sur ses épaules. Puis il se met à courir, un demi-mille durant, avec le thermomètre toujours à soixante-quinze sous zéro.

« Ce sont là, tu le sais, des bêtises qu’on ne doit pas faire. Elles équivalent à un suicide. Ce diable d’Indien pesait bien dans les deux cents livres et Dave courut, un demi-mille durant, avec lui sur les épaules. Il se gela les poumons. C’était écrit. Il dut se les geler à bloc. Bref, il n’en releva pas. Pendant deux semaines, il lutta horriblement contre la mort. Puis cassa sa pipe.

« Voilà l’Indien fort embarrassé. Il ne savait que faire du cadavre. S’il se fût agi du premier venu, il eût creusé un trou, l’y eût déposé, et tout était dit. Mais Dave Walsh était un gros personnage. Il le savait fort bien. C’était un chef, un grand chef parmi les Blancs.