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Qu’il n’y a point

Si cet Argument a quelque force, il prouvera beaucoup plus que ceux qui s’en ſervent en cette occaſion, ne ſe l’imaginent. Car ſi nous pouvons conclurre que Dieu a fait pour les hommes, tout ce que les hommes jugeront leur être le plus avantageux, parce qu’il eſt convenable à ſa Bonté d’en uſer ainſi, il s’enſuivra de là, non-seulement que Dieu a imprimé dans l’Ame des hommes une idée de Lui-même, mais qu’il y empreint nettement & en beaux caractéres tout ce que les hommes doivent ſavoir ou croire de cet Etre ſuprême, tout ce qu’ils doivent faire pour obéir à ſes ordres, & qu’il leur a donné une volonté & des affections qui y ſont entierement conformes : car tout le monde conviendra ſans peine, qu’il eſt beaucoup plus avantageux aux hommes de ſe trouver dans cet état, que d’être dans les ténèbres, à chercher la lumiére & la connoiſſance comme à tâtons, ainſi que S. Paul nous repréſente tous les Gentils, Act. XVII. 27. & que d’éprouver une perpetuelle oppoſition entre leur Volonté & leur Entendement, entre leurs Paſſions & leur Devoir. Je croi pour moi, que c’eſt raiſonner fort juſte que de dire, Dieu qui eſt infiniment ſage, a fait une choſe d’une telle maniére : Donc elle eſt très-bien faite. Mais il me ſemble que c’eſt préſumer un peu trop de notre propre ſageſſe, que de dire, Je croi que cela ſeroit mieux ainſi : Donc Dieu l’a ainſi fait. Et à l’égard du point en queſtion, c’eſt en vain qu’on prétend prouver ſur ce fondement, que Dieu a gravé certaines idées dans l’Ame de tous les Hommes, puiſque l’expérience nous montre clairement qu’il ne l’a point fait. Mais Dieu n’a pourtant pas négligé les hommes, quoi qu’il n’ait pas imprimé dans leur Ame ces idées & ces caractéres originaux de connoiſſance, parce qu’il leur a donné d’ailleurs des Facultez qui ſuffiſent pour leur faire découvrir toutes les choſes néceſſaires à un Etre tel que l’Homme, par rapport à ſa véritable deſtination. Et je me fais fort de montrer, qu’un homme peut, ſans le ſecours d’aucuns Principes innez, parvenir à la connoiſſance d’un Dieu & des autres choſes qu’il lui importe de connoître, s’il fait un bon uſage de ſes Facultez naturelles. Dieu ayant doûé l’Homme des Facultez de connoître qu’il poſſede, n’étoit pas plus obligé par ſa Bonté, à graver dans ſon Ame les Notions innées dont nous avons parlé juſqu’ici, qu’à lui bâtir des Ponts, ou des Maiſons, après lui avoir donné la Raiſon, des mains, & des materiaux. Cependant il y a des Peuples dans le Monde, qui quoi qu’ingenieux d’ailleurs, n’ont ni Ponts ni Maiſons, ou qui en ſont fort mal pourvûs, comme il y en a d’autres qui n’ont abſolument aucune idée de Dieu ni aucuns Principes de Morale, ou qui du moins n’en ont que de fort mauvais. La raiſon de cette ignorance, dans ces deux rencontres, vient de ce que les uns & les autres n’ont pas employé leur Eſprit, leurs Facultez, & leurs forces, avec toute l’induſtrie dont ils étoient capables, mais qu’ils ſe ſont contentez des opinions, des coûtumes & des uſages établis dans leurs Païs ſans regarder plus loin. Si vous ou moi étions nez dans la Baye de Soldanie, nos penſées & nos idées n’auroient pas été peut-être plus parfaites, que les idées & les penſées groſſiéres des Hottentots qui y habitent ; & ſi Apochancana Roi de Virginie eût été élevé en Angleterre, peut-être auroit-il été auſſi habile Théologien & auſſi grand Mathematicien que qui