Page:Livre d'hommage des lettres françaises à Émile Zola, 1898.djvu/476

Cette page n’a pas encore été corrigée

Eh bien, cela tout seul, Messieurs les Jurés, établi et mis au jour, cela doit soulever l’opinion des hommes sincères, et la lettre de M. Émile Zola, ce n’est pas autre chose dans sa violence même, je l’ai dit déjà mais j’en reviens à mon poidt de départ, que le cri même de la conscience publique… (Clameurs dans l’auditoire.)

Il a rallier, Messieurs, à défaut de quelques perturbateurs, ce que la France compte de plus grand et de plus illustre, et n’essayez pas de vous embarrasser de l’immense sophisme dont on prétend vous aveugler en vous disant que l’honneur de l’armée est en cause. Parce qu’il y aurait eu trop de zèle et trop de précipitation chez quelques-uns, trop de crédulité chez d’autres, un grave oubli du droit, du vrai droit, chez un ou chez plusieurs, il ne s’en suit pas que l’armée toute entière soit engagée.

Ne vous laissez donc pas troubler, ne vous laissez pas intimider non plus. On a parlé du danger de guerre qui nous menace ! Soyez tranquilles, aucun danger ne nous menace pour plusieurs raisons ; la première, c’est que les soldats que j’ai vus ici peuvent se tromper au cours d’une information judiciaire qui, après tout, n’est pas de leur métier, et qu’ils se conduiraient bien demain, et qu’ils nous conduiraient encore à la victoire ; j’ai confiance en eux.

Et surtout, ne craignez rien, parce que ce qui fait la force du peuple, c’est l’énergie morale. Oui, il faut poursuivre les traîtres, quand on les connaît, quand on est sûr de les connaître, il faut les frapper. Mais qu’on n’aille pas croire que le salut de la nation tout entière est compromis parce qu’on a livré quelques documents sans valeur, qui sont beaucoup plutôt, je l’ai déjà dit, et je veux le reprendre, l’objet d’une escroquerie que d’une trahison véritable. C’est avec le cœur, avec le cœur de braves gens réunis tous ensemble et sans acception de parti qu’on gagne les batailles.

Eh bien, Messieurs les Jurés, donnez par votre acquittement un exemple de fermeté. Vous sentez bien que cet homme est l’honneur de la France… Zola frappé, c’est la France se frappant elle-même. Ayez le courage de le sentir et de céder à votre impulsion naturelle.

Et je ne veux plus dire qu’un mot pour finir : que votre verdict Messieurs les Jurés, signifie plusieurs choses, d’abord : « Vive l’armée ! » Moi aussi, je veux crier : « Vive l’armée ! » mais aussi : « Vive la République ! » et « Vive la France ! » c’est-à-dire, Messieurs les Jurés : « Vive le Droit ! Vive l’Idéal éternel ! »

Voilà ce que j’avais à vous dire, voilà ce que je vous demande de proclamer dans votre sentence. (Longs applaudissements et clameurs.)

FIN