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autant que je peux, comme elle sait très bien. Aussi, dans le cas il plairait à celui par qui toutes choses existent, que ma vie se prolongeât, j’espère dire d’elle ce qui jamais encore n’a été dit d’aucune autre. »

Le poète, comme on voit, affirme son culte et son amour, et annonce pour ainsi dire, la composition de ses trois sublimes cantiques : l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis où il a évoqué le monde visible et le monde invisible, et dans lesquels en effet, Béatrice, presque divinisée, joue un rôle si noble et si éclatant.

On est à même maintenant, en se rendant compte des détails qui précèdent, de distinguer ce qu’il y a de réel et de mystiquement imaginaire dans les amours de Dante pour Béatrice. II est arrivé au jeune poète Florentin ce que beaucoup d’hommes, même très inférieurs à lui, éprouvent encore de nos jours. Tout enfant, il a été frappé de la beauté d’une personne de son âge dont les traits séduisants et les hautes qualités morales, se développant peu à peu, lui ont imprimé dans l’âme un sentiment tendre mais respectueux, sentiment dominateur qui l’a porté à faire de Béatrice sa Dame, son guide, son ange tutélaire, en un mot, un être abstrait, sur lequel il s’est plu à rassembler toutes les beautés, toutes les vertus, toutes les perfections.

Ce phénomène intellectuel, nous le répétons, n’est pas rare et peut même passer pour assez commun. Si nous prenons la plupart des hommes, nous pouvons presque dire qu’il n’en est pas un, si peu platonicien qu’il soit habituellement dans ses amours, qui n’ait eu sa Béatrice, et qui n’en garde en secret l’image dans son souvenir.

Cette fiction, cette imagination dont tout le monde a l’air de se moquer hautement, mais que chacun nourrit et caresse avec amour au plus profond de son cœur, est inhérente à la nature de l’homme.

Concluons donc et disons que cette tendance est en