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taisie aux libraires et aux lecteurs d’exiger qu’ils eussent quelque chose à dire. Pour Dieu, ne parlons de rien, mais écrivons à propos de tout. D’ailleurs de quoi vous entretiendrai-je ? De politique ? Les journaux impriment chaque matin, à cent mille exemplaires, tout ce qu’on en peut imprimer sans être mis à la Conciergerie. Or j’aime prodigieusement le grand air, et mon homœopathe m’ordonne l’exercice pour me guérir de la fatigue. — De poésie ? À vous, amant des fleurs, frère des étoiles…, autant vaudrait offrir un louis d’or à M. le baron Rothschild ou une poignée de main à sa majesté Louis-Philippe. — De science ? je suis ignorant. De philosophie allemande ? M. Barchou de Penhœn[1] vous donne des nausées. — De vous et de moi, enfin ? Pourquoi non ? vous demanderai-je encore.

Autrefois, à la vérité, il eût été méséant de parler ouvertement de soi, de ses affections, de ses goûts, de ses manies. Mais de nos jours le public prend les devants ; il s’enquiert de tous les secrets du foyer, de tous les détails de la vie privée. Avez-vous l’apparence d’une réputation ; il veut savoir de quelle couleur sont vos pantoufles, quelle forme a votre robe de chambre, quel tabac vous fumez de préférence, comment vous nommez votre lévrier favori. Les journaux empressés à spéculer sur cette pitoyable curiosité, entassent historiettes sur his-

  1. Philosophe français ; traducteur de Kant.