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meilleur sort, que l’artiste polonais entendait dans son passé à lui, — les soupirs d’un cœur malade, les révoltes d’une âme désorientée, les colères rentrées d’un esprit fourvoyé, les jalousies trop nauséabondes pour être exprimées, qui l’oppressaient dans son présent. Toutefois, il sut si bien leur imposer ses lois, les maîtriser, les manier en roi habitué à commander que, contrairement à maints coryphées de la littérature romantique contemporaine, contrairement à l’exemple donné alors en musique par un grand-maître, il réussit à ne jamais défigurer les types et les formes sacrés du beau, quelles que fussent les émotions qu’il les chargea de traduire.

Loin de là ; dans ce besoin inconscient de rendre certaines impressions indignes d’être idéalisées et sa résolution de ne jamais avilir la muse, ni l’abaisser au langage des basses passions de la vie qu’il avait permis à son cœur d’avoisiner, il agrandit les ressources de l’art au point qu’aucune des conquêtes qu’il fit pour en étendre les limites, ne sera reniée et répudiée par aucun de ses légitimes successeurs. Car, si indisciblement qu’il ait souffert, jamais il ne sacrifia le beau dans l’art au besoin de gémir ; jamais il ne fit dégénérer le chant en cri, jamais il n’oublia son sujet pour peindre ses blessures ; jamais il ne se crut permis de transporter la réalité brutale dans l’art, cet apanage exclusif de l’idéal, sans l’avoir d’abord dépouillée de sa brutalité pour l’exhausser au point où la vérité s’idéalise. Puisse-t-il servir d’exemple à tous ceux auxquels la nature départit