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régner sur le présent et dominer l’avenir, il se retira de la mêlée, laissant les combattans s’assaillir dans des escarmouches moins utiles à la cause qu’agréables aux gens qui aiment à se battre, surtout à battre, au risque d’être battus. Vrai grand-seigneur et vrai chef de parti, il se garda de survaincre, de poursuivre une arrière-garde en déroute, se conduisant en prince victorieux auquel il suffit de savoir que sa cause est hors de danger pour ne plus se mêler aux combattans.

Avec les dehors plus modernes, plus simples, moins extatiques, Chopin avait pour l’art le culte respectueux que lui portaient les premiers maîtres du moyen-âge. Comme pour eux, l’art était pour lui une belle, une sainte vocation. Comme eux, fier d’y avoir été appelé, il desservait ses rites avec une piété émue. Ce sentiment s’est révélé à l’heure de sa mort dans un détail, dont les mœurs de la Pologne nous expliquent seules toute la signification. Par un usage moins répandu de nos temps, mais qui toutefois y subsiste encore, on y voyait souvent les mourans choisir les vêtemens dans lesquels ils voulaient être ensevelis, préparés par quelques-uns longtemps à l’avance ’).

1) L’auteur de Julie et Adolphe (roman imité de la Nouvelle Héloise et qui eut beaucoup de vogue à sa publication), le général K. qui, iifcé de plus de quatre-vingts ans, vivait encore dans une campagne du gouvernement de la Volhynie à l’époque de notre séjour dans ces contrées, avait fait, conformément a la coutume dont nous parlons, construire son cercueil qui, depuis trente ans, était toujours posé à côté de la porte de sa chambre.